Il fut un temps, que les historiens de la pédagogie situent quelque part entre l'invention du rétroprojecteur et la panique généralisée du "Digital", où la formation professionnelle était une affaire d'une touchante simplicité.
Cela s'appelait "e-learning".
Ce processus remarquable consistait, pour l'essentiel, à enfermer un Savoir (généralement avec un S majuscule, pour lui donner du poids) dans une boîte numérique rigide appelée "SCORM". Cette boîte, une fois scellée par des "concepteurs pédagogiques" — une caste d'artisans qui passaient le plus clair de leur temps à débattre de la pertinence d'un clic "Suivant" animé — était ensuite envoyée à l'humanité tout entière.
Peu importait que vous soyez un vétéran de la comptabilité ou que vous pensiez qu'un "bilan" était un type de canard exotique. L'expérience était "figée". C'était la grande égalité du "Publishing" : tout le monde s'ennuyait de la même manière, au même rythme, et développait une culture commune basée sur la haine partagée du Quiz du Module 3.
Et puis, le GENLEARNING est arrivé.
Extrait du Livre Rose :
GENLEARNING (n.m.)
Contraction de Generated Learning.Système pédagogique devenu notoirement célèbre dans les années 2030 pour avoir rendu la formation aussi efficace qu'inquiétante. Le GENLEARNING est un majordome numérique omniscient qui, après avoir analysé vos données (votre contexte, votre maturité, votre motivation et, selon la légende, votre propension à soupirer devant un tableur), vous tricote une expérience d'apprentissage si parfaitement sur-mesure que vous ne pouvez même plus prétexter être confus.
Il sélectionne les contenus, orchestre la pédagogie (vous êtes plutôt métaphore sportive ou analogie culinaire ?) et génère des médias à la volée, rien que pour vos beaux yeux. Son efficacité pédagogique est, comme le notait un rapport de l'époque, "redoutable".
Le GENLEARNING, voyez-vous, a simplement décidé que la rigidité était une perte de temps pour tout le monde.
Là où l'ancien module SCORM vous aurait forcé à regarder trois vidéos sur "L'importance de la synergie" (alors que vous étiez déjà Maître Jedi de la synergie), le GENLEARNING scannait votre profil et déclarait : "Ah, non. Vous, on va sauter ça. Par contre, votre compréhension de la 'dynamique d'équipe en milieu hostile' est... disons, créative. Voici une simulation de 5 minutes où vous devez négocier un budget avec trois Krogmors affamés. Bonne chance."
Cette personnalisation extrême, où l'IA pédagogique générait des cas pratiques basés sur vos propres échecs de la semaine dernière, a fait grimper les taux de compétence à des niveaux stratosphériques.
Mais (et dans le futur, il y a toujours un "mais", souvent écrit en tout petits caractères sur la facture énergétique) ce confort avait un prix.
Le premier était, justement, la facture énergétique. Faire tourner les serveurs quantiques nécessaires pour générer une simulation holographIQUE personnalisée de la Renaissance italienne juste pour vous expliquer le "design thinking" consommait, en gros, l'équivalent énergétique d'une petite nation du début du XXIe siècle occupée à miner des crypto-monnaies sans intérêt.
Le second prix fut plus... mélancolique.
Mise en garde du Livre Rose :
AVERTISSESSION : L'Extinction de la Culture de la Machine à Café
L'efficacité absolue a un coût social. Le GENLEARNING, en éliminant l'expérience "imparfaite mais collective", a involontairement éradiqué l'une des pierres angulaires de la culture d'entreprise : la plainte partagée.
Personne ne pouvait plus dire : "Tu en es où, toi, dans le module incendie ? T'as vu la voix off ? On dirait un robot qui vient de perdre au loto."
Chacun vivant une expérience parfaite, optimisée et solitaire, les humains ont dû trouver d'autres sujets de conversation. Ce qui, pour la plupart, s'est avéré bien plus difficile que de simplement cliquer sur "Suivant".
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